Eau, sphaigne et tourbière

Tourbière en exploitation © Guy Lavigueur, utilisé avec permission

Tourbière en exploitation © Guy Lavigueur

La tourbière de Bois-des-Bel, dans le Bas-Saint-Laurent, est un laboratoire à ciel ouvert. Depuis 15 ans s’y déroule une expérience scientifique grandeur nature, dont les résultats sont appliqués partout dans le monde : rendre à une tourbière exploitée industriellement son lustre d’origine.

L’homme récolte la tourbe depuis des temps immémoriaux : combustible, matériau de construction et, usage principal par les temps qui courent, terreau bien apprécié de nos plantes d’intérieurs. La tourbe est en effet une matière organique riche, une sorte de coussin confortable qui permet aux racines de se faufiler, de s’agripper, de se nourrir des éléments si nutritifs que lui offre la terre. En plus, elle est douce et moelleuse. Tel un gâteau des anges, elle absorbe et retient l’eau en son sein.

Avouez que votre côté végétal vient de succomber…

Parlant végétal, la tourbe n’est pas du gazon, rappelle très justement Stéphanie Boudreau, coordonnatrice scientifique de l’Association des producteurs de tourbe horticole du Québec. Elle est en réalité formée par une mousse particulière, la sphaigne.

La sphaigne a ceci de particulier qu’elle se sert d’elle-même comme substrat. C’est-à-dire que le tapis sur lequel vous marchez est bien vivant, mais repose sur une épaisseur de sphaignes mortes dans divers états de décomposition, qu’on appelle la tourbe. Cette couche peut atteindre plus de 6 mètres d’épaisseur. Quand on sait que seul 0,5 à 1 cm de nouvelle tourbe s’accumulent annuellement, on comprend que les tourbières ont besoin de quelques milliers d’années pour se former… et se régénérer. Malgré le fait qu’elles soient bien vivantes, les tourbières ne sont donc pas considérées comme une ressource renouvelable.

Tourbière en exploitation © Guy Lavigueur, utilisé avec permission

Tourbière en exploitation © Guy Lavigueur, utilisé avec permission

Après avoir été exploitée dans les années 1970 et 1980, la tourbière de Bois-des-Bel est restée à l’abandon, raconte Stéphanie Boudreau. Vingt ans plus tard, la sphaigne, et les autres plantes typiques des tourbières, comme le thé du Labrador, la sarracénie pourpre ou la linaigrette, n’avaient toujours pas réussi à recoloniser les lieux. Le propriétaire du site et les autres industriels de la tourbe ont donc fait appel aux chercheurs de l’Université Laval afin de trouver comment restaurer rapidement et efficacement les tourbières.

Le but, précise Stéphanie Boudreau, est que la tourbière recouvre ses fonctions, à savoir redevenir un écosystème riche d’oiseaux, d’insectes et de fleurs comme tout bon milieu humide et surtout, un puits de carbone. Aujourd’hui, la tourbière de Bois-des-Bels est ouverte au public 2 à 3 fois par année. Ainsi, chacun peut apprécier de ses yeux le travail de restauration des biologistes.

Car la collaboration entre l’université et l’industrie fut un succès. Par des méthodes simples, les producteurs peuvent désormais réhabiliter eux-mêmes leurs tourbières. Il leur suffit de transférer de la sphaigne saine sur la parcelle à restaurer, de la couvrir de paille, de lui donner un peu d’engrais et d’attendre.

Bon. Il ne faut pas oublier de restaurer le niveau d’eau dans la tourbière, sinon il y a peu de chances que cela marche.

Aussi, une section de la tourbière est restée telle qu’en 1980. Aux fins de l’étude, elle n’a pas pu bénéficier du même traitement que ses voisines. Intacte mais non indemne, elle expose encore ses cicatrices.

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