Austérité, dogme politique ou science économique ?

© Québec Science – Les années Lumière

Pour leur bar des sciences, les Années Lumière et Québec Science avaient invité trois économistes issus de courants de pensée différents. Pourtant, le 3 mars dernier, entre Ianik Marcil, Pierre Fortin et Dominique Vachon, un consensus s’est rapidement dégagé.

Le Québec est en phase d’austérité économique, soutiennent Pierre Fortin, Ianik Marcil et Dominique Vachon, trois économistes invités lors du dernier bar des sciences organisé par Québec Science et les Années Lumière.

En effet, Pierre Fortin, professeur d’économie à l’Université du Québec à Montréal, rappelle qu’il existe une façon scientifique — ou mathématique — de définir un budget. Le solde budgétaire est la différence entre les dépenses et les recettes du gouvernement. Dans un budget « austère », on retire l’argent de l’économie afin d’améliorer ce solde. Les deux manières d’y arriver sont de limiter les dépenses ou d’augmenter les impôts… ce à quoi les politiciens ne tiennent pas. En s’engageant dans une politique d’austérité, le gouvernement actuel veut éviter que le Québec traine le poids de sa dette. Mais en même temps, en retirant son argent de l’économie, il risque de fragiliser la reprise économique.

Là où le bât blesse, c’est le rythme auquel le gouvernement libéral désire atteindre l’équilibre budgétaire. Dominique Vachon, vice-présidente à la direction de la Croix Bleue du Québec, le souligne : « On n’a pas à courir en fou. Le gouvernement veut résoudre un problème majeur en quelques mois. On ne règlera pas les problèmes en éducation et en santé avec un budget mais bien avec une bonne planification. »

Économiste indépendant spécialisé en transformations technologiques et sociales, Ianik Marcil s’interroge également sur les motivations de cette urgence. Selon lui, elles sont d’abord d’ordre politique et idéologique. Serait-ce une stratégie de diversion de la part du gouvernement Couillard pour réduire drastiquement l’appareil de l’État ?

Par définition, la science économique est à l’intersection du rationnel et de l’émotion, entre les finances et la politique. « On fait dire beaucoup de choses à l’économie, rappelle Mme Vachon. Son premier rôle, c’est l’allocation des ressources, qu’elles soient humaines ou financières. » Il faut donc chiffrer ces ressources et, en tant que science, l’économie utilise plusieurs mesures pour obtenir des données. Le produit intérieur brut (PIB) n’en est qu’une parmi tant d’autres. Ensuite, différents modèles permettent de suivre ces mesures et d’estimer leur évolution dans le temps. Le paradoxe est que les économistes ont à la fois un rôle d’observateur (de faits) et d’acteur, explique M. Marcil : « On demande aux économistes quelles seront les conséquences de la mesure X, ce qui est une analyse de faits. Et en même temps, on nous demande si c’est bon ou mauvais. Mais ce n’est plus de la science, ça : c’est de l’opinion. » Bref, impossible de séparer l’économie de la politique.

D’ailleurs, la politique intervient à de multiples niveaux. « C’est comme lorsqu’on prend notre “char”, démontre M. Fortin. D’abord, on veut comprendre la destination : le déficit zéro, nous sommes tous d’accord avec cet objectif. Ensuite, il faut choisir sa route. Parmi les routes, Dominique Vachon a mentionné une réforme réfléchie de notre système de santé. Et enfin, il faut choisir la vitesse à laquelle on roule : ni trop vite, ni trop lent. » Le gouvernement Couillard a décidé d’aller vite, très vite. « L’idéologie est un incontournable en science économique. Chaque gouvernement a sa propre vision. Mais, soulève Mme Vachon, on ne gagne rien à aller rapidement. Le gouvernement est focalisé sur une vision comptable et oblitère complètement le coût d’option, c’est-à-dire ce que, sans cet argent, nous ne pourrons plus faire. » Stimuler l’esprit critique de nos jeunes grâce à un système scolaire de qualité, garder les femmes sur le marché du travail grâce aux garderies à sept dollars, favoriser le développement économique des régions grâce aux Centres locaux de développement, par exemple. À moins que tout cet argent ne serve à financer une obscure cimenterie.