Un petit ver pour la route ?

Buffle © BritesciencesUn animal, c’est un écosystème en soi. En éliminant les parasites intestinaux des buffles, on augmenterait le risque qu’ils disséminent la bactérie responsable de la tuberculose.

Il y a de tout, dans un buffle d’Afrique. D’abord il y a lui. Bien campé sous ses 700 kg, il vous toise. D’un naturel calme et posé, il peut piquer des pointes à 50 km/h en cas de nécessité.

Ensuite il y a ses locataires : les pique-bœufs, qui le débarrassent des mouches et autres puces qui se promènent sur sa peau. Enfin, il y a les squatteurs dont le buffle aimerait certainement se défaire mais qu’il ne peut malheureusement atteindre, comme les nématodes ou d’autres parasites gastro-intestinaux.

Ainsi, dans la savane africaine, Vanessa Ezenwa et Anna Jolles ont voulu étudier l’effet d’un traitement contre les parasites sur la dynamique de la tuberculose bovine sur un animal que même les lions craignent : le buffle.

Elles ont capturé pas moins de 200 de ces impressionnants bovidés. Chacun d’eux passe un examen de santé, subit une prise de sang et se voit allégé de quelques grammes de bouse.

Aussi, la moitié d’entre eux reçoit, directement dans l’estomac, une dose de Panacur à libération lente, un antiparasitaire bien connu des vétérinaires. Grâce à ce traitement privilégié, les vers qui s’égayaient dans les intestins bovins meurent et les bouses sont exemptes d’œufs… même lors de la prochaine visite de santé.

Six mois plus tard.

Pendant 4 ans.

(En gros, ça doit faire 1600 captures de buffles. Je dis ça comme ça.)

Que se passe-t-il ?

Les buffles, vermifugés ou non, attrapent la tuberculose (Figure B). C’est normal, c’était attendu : la tuberculose bovine est une maladie chronique, qui circule dans le troupeau.

Là où cela devient intéressant, c’est lorsqu’on regarde la Figure C. On voit très facilement que les animaux traités (en rouge) survivent nettement mieux que les animaux non traités (en bleu).

 

En effet, la tuberculose est rarement une tueuse solitaire. Elle a besoin d’un acolyte pour débalancer le système immunitaire. Dans ce cas précis, les vers.

Bon. Si on reprend le cours des réflexions, il y a deux points à considérer :

  1. C’est génial ! Les buffles vivent mieux avec pas d’vers.
  2. Oups ! Un buffle sur deux avec pas d’vers a la tuberculose, une maladie hautement transmissible, y compris à l’homme.

En toute logique épidémiologique, Vanessa Ezenwa et Anna Jolles ont voulu chiffrer le risque que posaient les buffles vermifugés envers les autres membres du troupeau.

Comme les buffles sans parasites vivent plus longtemps, ils auraient 9 fois plus de chance de transmettre la tuberculose à leurs congénères lorsqu’ils sont vermifugés que lorsqu’ils ne le sont pas.

Donc, en luttant contre un pathogène (les vers), on a favorisé la transmission d’un autre (la tuberculose).

Bref. La santé publique, c’est pas toujours simple.

Source : Vanessa O. Ezenwa et Anna E. Jolles, Opposite effects of anthelmintic treatment on microbial infection at individual versus population scales. 2015 Science 347(6218) p. 175-177